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Marché explosif. Force Majeure.

Guillem Burset avance son commentaire économique afin de nous donner les clés pour comprendre où en est le secteur européen de la viande.

Compte tenu des circonstances particulières de ces derniers jours, nous avançons d'une semaine la publication de notre commentaire mensuel habituel.

En effet, les marchés du porc au sein de l'UE sont en mode explosif, battant record sur record dans une course effrénée. Tout ce que nous pensions pouvoir arriver arrive : plus tôt que prévu, beaucoup plus vite que prévu et avec beaucoup plus de virulence que prévu. La viande monte enfin (pas le choix) comme si le ressort comprimé dont nous avons parlé dans le commentaire précédent avait jailli avec une force titanesque.

Notre bourse de référence a accumulé trois hausses maximales (les règles de fonctionnement de Mercolleida ne permettent pas de hausses ou de baisses de plus de 6 centimes en une seule séance). Mais il se trouve que nous sommes encore loin du plafond. En Espagne, de fin janvier (1,02) à aujourd'hui (1,35), le prix de la viande de porc a augmenté de 32%, ce qui est loin d’être négligeable.

En Allemagne, autrefois puissant premier marché européen, les prix ont grimpé ad infinitum, passant de 1,20 euros / kg carcasse le 9 février à un inconcevable 1,85 à peine cinq semaines plus tard. Ce mouvement représente une augmentation de 54%. Rien de plus et rien de moins. Si l'on examine le graphique ci-joint de l'évolution du prix des carcasses de porcs en Allemagne, on constate qu'un véritable mur est en train de se dresser - à une vitesse inhabituelle.

Graphique 1. Le prix de la viande de porc en Allemagne grimpe comme un mur, à une vitesse inhabituelle.

Graphique 1. Le prix de la viande de porc en Allemagne grimpe comme un mur, à une vitesse inhabituelle.

Sur le MPB (Marché du porc breton), le cours a évolué hier de + 10 centimes par kg en carcasse, alors que sa règle interdit les mouvements de plus de 5 centimes en une seule séance : encore un signe de parfaite exception.

Graphique 2. Prix du porc en Allemagne et en Espagne en 2021 et 2022.

Graphique 2. Prix du porc en Allemagne et en Espagne en 2021 et 2022.

Nous sommes au milieu d'un tsunami haussier qui est loin d'être terminé.

Selon nous, il existe plusieurs causes concomitantes et diverses qui affectent le marché en ce moment :

  • L'invasion de l'Ukraine par la Russie entraîne une hausse vertigineuse des marchés mondiaux des matières premières destinées à l'alimentation animale. Nous sommes passés en peu de temps d'un prix de revient du porc vivant de 1,30 à plus de 1,55 euros/kg en vif. Reste à savoir s'il y aura suffisamment d'aliments pour nourrir le bétail.
  • Il en va de même pour l'énergie. Le gaz a atteint des sommets et les coûts énergétiques sont absolument hors de contrôle.
  • L'inflation atteint des niveaux jamais vus au cours des 30 dernières années ; nous verrons bientôt que ce n'est que le début.
  • Les agriculteurs d'Europe centrale, qui en ont marre d'en avoir marre, en ont assez d’engraisser des porcs. Plus de 16 mois de prix de vente inférieurs aux coûts ont décapitalisé et démoralisé le secteur. Il n'y a pas de porcs en raison de l'abattage massif des mères et des porcelets (par crainte de pertes liées à leur engraissement).
  • La persistance des problèmes sanitaires (notamment le syndrome respiratoire) qui continue à décimer les porcelets dans les exploitations touchées.
  • La décision historique, inhabituelle et inattendue des grands abattoirs allemands (sans exception) d'annuler unilatéralement et sans préavis les contrats fermes de commandes de viande congelée a déclenché la panique logique du manque, exacerbant la nervosité de nombreux grands opérateurs.
  • La concentration des entreprises : les opérateurs sont de moins en moins nombreux (tant dans le secteur de l'élevage que dans celui des abattoirs) et de plus en plus importants. Ce fait amplifie et accentue les mouvements de balancier du marché en les exagérant.
  • Le manque de porcs en raison de la restriction de l'offre est le premier facteur responsable de ce qui se passe. C'est un fait : il n'y a pas assez de porcs, non seulement en Espagne mais aussi dans l'ensemble de l'UE.

Pour le moment, il est très difficile d'entrevoir ou de pressentir jusqu'à quel niveau le porc peut monter. Nécessité oblige, il semble évident que nous allons dépasser tous les records historiques qui ont été établis. Les éleveurs ont besoin de pouvoir vendre leurs porcs à un prix supérieur au prix de revient. C'est un axiome : si cela ne se produit pas, alors il n'y a pas d'avenir.

Le fait est que l'industrie de transformation européenne (les producteurs de saucisses) devra faire face à des prix d'achat de leur matière première (la viande) 50 à 70% plus élevés ce printemps qu'au second semestre 2021. La filière est confrontée à un mur infranchissable. Il ne sera pas facile de convaincre les grands supermarchés et les chaînes de supermarchés que les prix des produits transformés doivent augmenter. Et augmentent de façon conséquente, pas de simples ajustements à la hausse.

La filière doit faire face à cette tâche difficile et très compliquée. Nous pensons qu'il est essentiel de pouvoir renégocier les contrats de vente de produits transformés à base de porc. Même si la force majeure (force majeure dans le lexique international) doit être invoquée à cette fin ; ou se peut-il qu'une augmentation de 50%, et plus, de la matière première ne soit pas indubitablement une force majeure ?

Les autorités européennes et les différents gouvernements des États membres devraient comprendre (et agir en conséquence) que les grands maux demandent de grands remèdes. Et d‘y mettre du leur (proposer un interlocuteur ? proposer une médiation ? proposer un arbitrage ?). Nous pensons que la survie d'une grande partie du secteur de la transformation est en jeu. Et c'est très grave. Les autorités ne peuvent et ne doivent pas rester impassibles face à la démolition effrénée d'une filière de production aussi importante.

Il n'est pas possible d'absorber, tout bonnement, des hausses du prix de la viande de l'ordre de 50 et 70%. C'est une évidence. Il s'agit d'un mur très haut et lisse, inaccessible sans aide. Ce qui ne peut pas être, ne peut pas être et - de plus - est impossible.

Espérons que les fabricants et les supermarchés (avec l'aide des autorités ?) parviendront à se mettre d'accord sur des conditions minimales pour trouver une voie praticable. La situation est d'une complexité, d'une dangerosité et d'une délicatesse sans précédent. Nous vivons des moments véritablement historiques. Peut-être même uniques.

Le conflit en Ukraine n'étant pas résolu, nous allons voir et vivre des situations très compliquées. L'ensemble de l'Europe va devoir se serrer la ceinture. Nous allons tous en pâtir, personne n'est à l'abri. Nous vivons des moments d'angoisse pour obtenir des céréales fourragères.

Nous terminerons aujourd’hui par un proverbe espagnol : "Le malheur veille à la porte, et à la première occasion, il se faufile".

Guillem Burset

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